ENTENDU. L'élection de François Hollande vue d'un café de Puilboreau : La France de droite désabusée (3)

Publié le par Laurent Kaczmarek

 

Edmond, 72 ans : le militaire retraité collectionneur et poète.

 

Il a été instructeur dans l’armée de l’air. Il a fait les Arts et Métiers, en mathématiques. « Interllectuellement, j’ai dix ans », dit-il. C’est un personnage frêle et touchant, humble et cultivé, qui me rappelle par certains côtés mon grand-père. Il écrit des poèmes, notamment un petit recueil et un roman poétique. Il me récite quelques vers, que je propose d’enregistrer. Il refuse. Il a monté un « club multicollection » sous forme d’association pour l’échange. Il collectionne depuis son plus jeune âge, notamment les pièces de monnaie et les cartes postales.

 

Il est « un peu boursicoteur » et s’informe beaucoup. Pour lui, la première conséquence de l’élection de Hollande, c’est « La bourse se casse la gueule » car « La haute finance se méfie ». Ce sont les maîtres du monde. Dans une semaine, ce sera calmé, mais cela reviendra avec les législatives, professe-t-il. Une cohabitation est possible car « Les législatives amènent un point d’interrogation ». Mais Le Pen à 18 %, c’est plus grave qu’Hollande. Ca fait peur aux investisseurs : « Elle aurait foutu l’euro en l’air » : « une catastrophe ».

 

C’est « un peu dur » pour lui de voir François Hollande Président. Il pense qu’il faudra au moins deux ou trois ans pour s’en sortir, alors qu’avec Sarkozy « ça aurait pu se réparer plus rapidement » : « c’est dommage », « deux années de foutues ». Il y a eu du « bourrage de crâne » dans la campagne : « on est en pleine guerre psychologique » (interdite par les conventions internationales souligne-t-il). On n’a entendu que de la peur.

 

Il est de droite depuis son plus jeune âge, « gaulliste, évidemment ». De Gaulle, c’était « un rassembleur ». De Gaulle, Sarkozy, ils « se décarcassaient » et pourtant, les gens ont voté contre. Il ne comprend pas. C’est un vote contre Sarkozy, de la même façon que les gens ont « foutu à la porte » De Gaulle. Une blessure. Pour lui, « Les gens se lassent très vite. Ils veulent le changement tout le temps. »

 

Il n’est pas contre Hollande, mais «on va voir comment il s’y prend ». Il ne faut pas augmenter l’allocation de rentrée scolaire mais plutôt distribuer des bons d’achat. L’argent, les gens « vont le bouffer » : cigarette whisky… Il critique les modes de consommation : les « paniers pas chers » des supermarchés, « ça n’a jamais marché ». Les gens ont l’habitude de « jeter gras » (gaspiller), mais un peu moins depuis quelques temps. Ils veulent consommer comme les riches. « On n’a pas bouffé assez de vaches maigres ». Aujourd’hui, l’argent sert surtout au plaisir.

 

L’assistanat, c’est « le gros problème ». « Sarko voulait freiner. » Hollande sera forcé de la faire, tous les partis l’ont compris. Il a beaucoup de boulot, mais « il n’est pas assez au courant ». Il aura « mille difficultés ». Il lui fait plutôt confiance, mais cela va dépendre de son gouvernement, de ses ministres. Il doit bien s’entourer. Après les 35 heures, il a dit « on est foutus » et « ça a pas loupé ». La retraite à 60 ans ? On serait les seuls. Mais il admet qu’on doit mettre à la retraite plus tôt les gens qui ont eu des boulots pénibles.

 

Hollande a promis, mais « où va-t-il prendre l’argent ? », demande-t-il. Les emplois d’Etat : « il faut faire le contraire » : « relancer la bécane » et « payer d’abord la dette », sinon « on se fera éjecter de l’Europe ». « Le boulot viendra après ». Il reconnaît que régler les problèmes d’économie et d’emploi, « c’est très difficile ». Les petites industries vont en baver, et même les grosses.

 

« Pourquoi on consomme étranger ? », demande-t-il ? Parce que ça coûte moins cher : la main d’œuvre est moins chère.  Mais comment faire moins cher ? En diminuant la main d’œuvre ? « Là est la question. » Il dit que la main d’œuvre chère est plutôt justifiée en raison du « coefficient qualité-prix ».

 

En France, il y a « trop de boulot au noir », « trop de laisser-aller ». Il faut plus de contrôle. Mais Sarkozy a été en retard. Il aurait fallu commencer il y a deux ou trois ans. Les gros salaires lui paraissent justifiés « si la boîte marche bien », mais peut-être qu’il faudrait que ce soit « un peu moins ». Ce sont « des gouttes d’eau », mais c’est cela qui fait les grandes rivières.

 

Le gros problème économique vient des banques. « Elles ont trop profité il y a quelques années » et maintenant « elles ont très peur ». Elles ont perdu sur la dette grecque. De toute façon, il faut favoriser la circulation d’argent entre les banques.

 

Pour lui, il faut que ce soit la BCE (banque centrale européenne) qui contrôle le système. Il est plutôt contre les Eurobonds (emprunts européens) :  « La planche à billet, c’est pas bon ». Il voit de la « sagesse » chez Angela Merkel. « L’Allemagne en a bavé » : rigueur, intégration de l’Allemagne de l’Est. Il décrit l’Europe comme quelque chose de « merveilleux », mais la France est « un mauvais élève », qui « peut mieux faire ».

 

Il parle d’économie mais répète fréquemment qu’il n’est pas compétent. De toute façon, pour lui, les économistes ont une vision trop théorique. Il aime bien DSK, qui est un bon économiste. Il faut un « juste milieu » : « tant de recettes, tant de dépenses ».

 

Il affirme que la France est bonne dans beaucoup de domaines : les salariés, les techniciens, l’électronique, l’industrie de transport…

 

 

Après l’entretien, il essaie de retourner la situation et de me poser les questions. Il me demande ma date de naissance (1980), pour qui j’ai voté (Hollande, contre Sarkozy). Il admet vite qu’il a du mal à m’interroger.

 

 

 

Accueil du reportage

 

Bruno, 46 ans, l'artisan droite décomplexée

Sylvie, 52 ans: l'inactive qui ne sait pas trop

Publié dans Portraits

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article